Conditions de validité du contrat de préférence éditoriale et sanction
La conclusion d’un contrat de préférence éditoriale avec un auteur offre à l’éditeur un droit de priorité pour l’édition de ses œuvres futures dans un genre déterminé.
Relevant d’une disposition spéciale du Code de la propriété intellectuelle propre aux contrats d’édition, ce contrat de préférence vient tempérer le principe général de nullité de la cession globale des œuvres futures prévu à l’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Pour être valable, le contrat de préférence conclu entre un auteur et un éditeur doit cependant répondre à une condition stricte : il doit être soit limité dans le temps pour une durée maximale de 5 ans, soit être limité à cinq ouvrages nouveaux.
La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de le rappeler encore récemment dans une affaire rendue en matière d’édition musicale en se prononçant sur la notion d’ouvrage et rappelant la sanction associée à l’absence d’une telle limitation (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 2, 29 mars 2024, n°22/00799).
Dans cette affaire, le litige opposait une auteure-compositrice à des éditeurs musicaux ayant conclu un contrat de préférence éditoriale et des contrats de cession de droits et d'édition musicale et de cession du droit d'adaptation audiovisuelle portant sur plusieurs œuvres musicales de l’auteure concomitamment à la signature du contrat de préférence.
Plus particulièrement, ce contrat de préférence éditoriale conférait aux éditeurs un droit de préférence sur l’édition et l’exploitation des œuvres futures de l’auteure pour la durée nécessaire à l’écriture et à la composition d’un album du commerce défini dans ce contrat comme « un recueil d'au moins 10 œuvres faisant l'objet d'une sortie commerciale dans les circuits normaux de distribution (physique et digital) », ainsi qu’une option exclusive pour les œuvres musicales composant l’album suivant de l’auteure.
L’auteure a alors invoqué la nullité du contrat de préférence en ce qu’il ne prévoyait ni de limitation temporelle, ni de limitation à cinq ouvrages nouveaux pour chaque genre, ainsi que la nullité des contrats de cession et d’édition musicale compte tenu de leur indivisibilité avec ledit contrat de préférence.
Cette affaire rappelle avec justesse les conditions de validité d’un contrat de préférence fixées par le Code de la propriété intellectuelle (I) et les sanctions attachées au non-respect de ces dernières (II).
I. La validité d’un contrat de préférence et la définition d’ouvrage de l’article L. 132-4
La Cour d’appel rappelle précisément que le droit de préférence conféré à un éditeur doit être limité « à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d'édition conclu pour la première œuvre ou à la production de l'auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour. »
Dans cette affaire, le contrat de préférence n’était ni limité dans le temps, ni limité à cinq ouvrages.
Premièrement, les juges retiennent que la stipulation du contrat prévoyant que le pacte de préférence est conclu pour « la durée nécessaire à l'écriture/composition par l'auteur » d'un album sorti dans le commerce a une durée indéterminée, ne respectant pas la limite de cinq années.
Deuxièmement, la Cour d’appel apprécie strictement la notion d’ouvrage au sens de l’article L. 132-4.
Les parties s’opposaient quant à la définition d’un ouvrage, distincte ou non de la notion d’œuvre. Les éditeurs estimaient que la notion d’ouvrage, disposition conçue pour l’édition de livre, devait être transposée à l’industrie musicale pour définir un album constitué d’un ensemble d’œuvres musicales, le contrat de préférence ne pouvant se limiter à cinq œuvres ou chansons.
A l’opposé, l’auteure estimait quant à elle que le terme « ouvrage » était synonyme d’une seule et unique « œuvre » musicale, de sorte que l’ouvrage ne pouvait renvoyer à un album.
Rappelant que les dispositions de l'article L. 132-4 sont d'interprétation strictes, édictées dans l'intérêt de l'auteur, la Cour d’appel retient ici une définition restrictive de la notion d’ouvrage en faveur de la position de l’auteur : l’ouvrage au sens de l’article L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle ne peut renvoyer à celle d’album sauf à retenir une interprétation large qui n'est pas favorable aux intérêts de l'auteure, celle-ci s'engageant alors pour au moins une trentaine d'œuvres musicales dès lors que celles-ci seraient réunies dans un album ce sans aucune limite dans le temps.
Selon la Cour, il ne peut pas non plus être retenu que l'album est un ouvrage relevant du genre prédéfini des « chansons » visé au contrat, lequel contrat porterait alors sur plus de cinq ouvrages nouveaux pour ce seul genre dans cette espèce.
Il faut ainsi retenir de cette décision qu’en matière d’édition musicale, la notion d’ouvrage renvoie strictement à une unique œuvre musicale.
II. La nullité et le caractère indivisible du contrat de préférence et des contrats de cession et d’édition
Le contrat de préférence ne respectant pas les exigences de l’article L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle, sa nullité est prononcée par la Cour d’appel.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante retenant qu’un contrat de préférence méconnaissant les conditions imposées par l’article est atteint de nullité.
Par ailleurs, dans cette espèce, l’auteure avait signé, concomitamment à la signature du contrat de préférence, plusieurs contrats de cession et d’édition et de cession du droit d’adaptation audiovisuelle portant sur des œuvres musicales créées antérieurement mais non encore éditées.
Or ici, la nullité du contrat de préférence entraine la nullité de ces contrats de cession et d’édition musicale.
L’arrêt retient en effet que dans cette affaire, ces contrats de cession et d'édition musicale ont un lien intime avec le contrat de préférence dès lors qu’ils « ont été convenus concomitamment en raison de la confiance de l'auteur dans les sociétés éditrices à laquelle celle-ci a également cédé ses œuvres futures. »
La Cour d’appel relève que les contrats sont indivisibles dans la mesure où ils sont nécessaires à la réalisation d'une même opération, l’auteure ayant conclu ces contrats d'édition uniquement car elle s'y croyait tenue en exécution du contrat de préférence.
Par voie de conséquence, les cessions de droits consenties par l’auteur sur ses œuvres en exécution du contrat de préférence éditorial dont la nullité est prononcée, sont alors dépourvues de cause et doivent ainsi elles-mêmes être considérées comme nulles.
Conséquence de la nullité de l’ensemble contractuel et de l’anéantissement des contrats, les éditeurs sont alors tenus de restituer à l’auteure toutes les sommes qu’ils ont pu percevoir au titre de l’exploitation des œuvres musicales objet des contrats de cession et d’édition musicale.
Les recettes perçues par les sociétés éditrices de la SACEM au titre de la reproduction mécanique et de l’exécution publique des œuvres concernées ainsi que les sommes perçues au titre de l'exploitation secondaire d’une des œuvres dans un film cinématographique sont donc reversées à l’auteure.
Il faut ainsi souligner l’importance du respect des conditions de validité du contrat de préférence. Sans limitation dans le temps ou sans limitation à cinq ouvrages nouveaux, la sanction de la nullité est inévitable, l’éditeur musical se trouvant à juste titre priver des droits éditoriaux sur les œuvres éditées et contraints à rembourser les sommes qu’il a pu percevoir au titre de leur exploitation.